Le chef du village du Président Gbagbo interpelle alassane ouattara |
Le chef du village de Mama, Kouassi Ouraga
Bertin, se prononce sur la détention de Laurent Gbagbo, fils de Mama. Il
explique comment les populations ont subi le changement brutal de
régime et dit ses vérités sur la Cour pénale internationale (Cpi).
Notre Voie : Le Président Laurent Gbagbo est
en prison à Korhogo depuis son arrestation ? le 11avril 2011. Vous, chef
du village de Mama, son village natal, quelle est votre opinion sur sa
détention ?
Kouassi Ouraga Bertin : Le souhait d’un père est de
voir son fils libre et jouir de ses droits. Notre fils et frère Laurent
Gbagbo a été arrêté et se trouve en prison avec de nombreux Ivoiriens,
et beaucoup d’autres vivent toujours en exil. Des mandats d’arrêt sont
lancés contre beaucoup d’entre eux. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire est
gouvernée par un nouveau chef de l’Etat. En politique, un Président est
toujours changeable. C’est-à-dire quand un Président part, un autre
arrive. Ainsi, nous avons connu Houphouet, Bédié, Guéi et Gbagbo. Mais
partir du pouvoir est une chose. Et comment en partir en est une autre.
En Afrique, on utilise la violence pour enlever les gens au pouvoir
quand on sait que ces gens travaillent bien pour leurs peuples et qu’ils
peuvent être réélus. C’est arrivé, Gbagbo est en prison. Mais, nous ses
parents, notre souhait est de le voir retrouver sa liberté.
N.V. : Vous souhaitez le voir libre, mais les
nouvelles autorités ne cachent pas leur volonté de le traduire devant
la justice. Comment trouvez-vous leur démarche ?
K.O.B. : Si les nouvelles autorités ivoiriennes
tiennent à juger Gbagbo, nous demandons qu’il soit jugé selon les lois
ivoiriennes. Si les autorités ivoiriennes veulent juger Gbagbo, alors
nous disons qu’il ne doit pas y avoir un jugement spécifique. Au-delà,
nous nous demandons toujours de quoi on accuse Gbagbo et pourquoi on
veut le juger. Nous nous interrogeons toujours sans trouver la raison.
N.V. : Les autorités accusent Gbagbo d’avoir
commis des crimes de sang dans la crise post-électorale qui relèvent
selon elles de la compétence de la Cour pénale internationale (Cpi). Ne
pensez-vous pas que ces accusations sont suffisamment graves ?
K.O.B. : Sincèrement, Gbagbo que je connais, je ne
crois pas qu’il soit capable de verser une goutte de sang. Si tel était
le cas, nous disons que Gbagbo ne doit pas avoir un jugement spécifique.
Si nos autorités estiment qu’il a commis des crimes de sang, alors nous
demandons que soient également jugés tous ceux qui ont tué depuis 2002
jusqu’à ce 30 octobre 2011 où vous êtes avec nous. Nous ne nous opposons
pas aux nouvelles autorités du pays. Mais nous demandons : qu’est-ce
que Gbagbo a fait dans la crise post-électorale que les autres n’ont pas
fait ? Qu’est-ce que Gbagbo a fait dans la crise post-électorale que
les autres ne continuent pas de faire ? Nous n’avons rien contre le
Président Alassane Dramane Ouattara, mais nous voulons savoir pourquoi
on s’acharne sur Gbagbo seulement.
N.V. : Pourquoi pensez-vous que c’est un acharnement sur Gbagbo ?
K.O.B. : C’est vraiment un acharnement. Parce que,
ici à Mama, la résidence de Gbagbo n’existe plus que de nom. Il ne reste
que le bâtiment. La résidence de Gbagbo a été mise à sac. Dites-nous à
quel autre Président ivoirien, on a fait ça !
N.V. : C’est Gbagbo qui fait l’objet de
poursuite parce que les autorités pensent que c’est par lui que les gens
ont été tués. Ces accusations ne sont-elles pas graves à vos yeux ?
K.O.B. : Pourquoi on accuse uniquement Gbagbo d’avoir
commis des crimes ? Pourquoi on ne remonte pas à 2002 ? Pourquoi on
n’ouvre pas les yeux sur les crimes qui ont été commis à l’Ouest ?
L’Ouest ne fait-il pas partie de la Côte d’Ivoire ? Tout le monde doit
aller à la Cpi et on verra qui restera là-bas et qui reviendra. Ici, des
populations que nous avons accueillies sur nos terres nous ont attaqués
et continuent de nous séquestrer. Des gens sont morts en brousse. Moi
qui vous parle, j’ai fait 16 jours dans la forêt ; je me cachais. Et
j’ai tout perdu, mes deux voitures et mes bêtes. Mais ce que j’ai perdu
ne vaut pas l’emprisonnement de Gbagbo. Des gens qui avaient quitté le
village, il y a 5 ou 10 ans reviennent occuper nos terres. Nous sommes
envahis par des dozos (chasseurs traditionnels malinké pro-Ouattara,
supplétifs des Frci, ndlr) qui circulent nuit et jour dans nos villages
et forêts. Ils nous séquestrent et nous terrorisent. On nous a arraché
nos fusils de chasse de type calibre 12 et ces armes ont été remises à
des gens qui nous séquestrent. On veut nous anéantir.
N.V. : A vous entendre, on a le sentiment que vous avez gros sur le cœur…
K.O.B. : Nous n’avons pas peur, nous n’allons pas
fuir. Nous ne menaçons pas, mais c’est un cri de cœur. Nous demandons
qu’on libère notre frère Gbagbo. Il y a un proverbe qui dit : quelle que
soit la laideur du petit du chimpanzé, son père l’aime. Tout le village
de Mama veut son fils. Si on nous le permettait, c’est tout le village
de Mama qui irait à Korhogo pour voir Gbagbo.
N.V. : Ne craignez-vous pas qu’on assimile votre position à un sentiment de rejet des nouvelles autorités ivoiriennes ?
K.O.B. : Non ! Loin de là. Nous n’avons jamais renié
le Président Ouattara. Nous n’avons jamais renié Guillaume Soro, qui est
un enfant. On dit que tous les chemins mènent à Rome. Il a pris son
chemin. Alassane Ouattara est Président. Nous adhérons à sa politique,
mais nous voulons qu’on allège nos souffrances. Nous voulons qu’on
libère Gbagbo pour qu’il vienne vivre avec nous ici à Mama.
N.V. : Le chef de l’Etat, Alassane Dramane
Ouattara, prône le pardon et exhorte à la réconciliation nationale.
Etes-vous disposé à vous y impliquer malgré votre demande de libération
du Président Gbagbo ?
K.O.B. : Nous sommes engagés dans la voie de la
réconciliation. Nous étions à Yamoussoukro à l’investiture du Président
Ouattara. Nous étions plus de 100 chefs de Gagnoa à rencontrer l’ancien
Premier ministre Charles Konan Banny pour lui dire que nous le
soutenons. Mais nous avons demandé la libération de Gbagbo et de tous
les autres prisonniers. Nous demandons qu’on permette le retour des
exilés. Actuellement, il est impossible d’aller voir Gbagbo en prison et
on veut nous réconcilier. Cela ne nous plaît pas. Qu’on libère Gbagbo
et tous les prisonniers pour aller à la réconciliation nationale n
Source Notre Voie
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